lundi, octobre 5

Un maintenant continuel

















Ordinairement, l’être humain ne vit jamais dans le présent ; il est emporté par un incessant flux intérieur vers un avenir dont il lui est impossible d’entrevoir la fin. Il passe son existence entière dans un état de “devenir” perpétuel et ne peut, par conséquent, connaître le sentiment d’un “présent continuel” en lui. Il vit toujours dans l’anticipation inconsciente de “tout-à-l’heure.” Mais ce “tout-à-l’heure” ne vient jamais, car il est, d’instant en instant, en train de se transformer en un autre “tout-à-l’heure.” Ainsi, à peine le “tout-à-l’heure” attendu est-il sur le point d'arriver qu’il est déjà devenu un nouveau “tout-à-l’heure” — et ce, sans répit.

De cette manière, l’Eternité, qui constitue l’héritage Céleste qui lui destiné, (et qu’il ne peut connaître en lui sans en payer le prix) lui échappe sans cesse.
Cet Aspect Suprême de sa nature ne peut être appréhendé que dans un “maintenant continuel” (qu’il doit créer en lui) et non dans le temps qui passe.

La création de “maintenant” en l’aspirant est d’une importance capitale pour ce qu’il cherche à connaître en lui ; or, cet état ne peut être atteint automatiquement, il lui faut le créer délibérément. Toutes les pratiques de concentration qu’il tente d’effectuer ont précisément pour but de le ramener à lui-même et de le maintenir dans le présent.

Il découvrira, petit à petit, que le sentiment de “soi” est toujours lié au “maintenant.” Chaque fois qu’après avoir été perdu dans ses pensées brumeuses, il se produit en lui une mystérieuse reprise de conscience, s’il est assez avisé, il ne peut manquer de remarquer que cette reprise de conscience se traduit par un retour à lui-même dans le “présent.”
Et le “présent” est la clé qui le libère de ses entraves du passé et du futur, lui indiquant, par là même, la route vers sa Cité Céleste.

L’aspirant a besoin de moyens permettant la création en lui du sentiment de “maintenant.” La manière dont il regarde, écoute, bouge, pense, etc. doit changer pour qu’il lui soit possible de se sentir dans le “présent.”

Il constatera que, lorsqu’il devient conscient de regarder quelque chose, un subtil mouvement vers lui-même se produit. Et quand il recommence à regarder de manière vague (comme il le fait d’habitude), un mouvement inverse a lieu, c’est-à-dire, un mouvement vers l’extérieur,... et il est également emporté vers le dehors, avec son regard ! Le même phénomène se produit en lui à son insu quand il écoute quelque chose.

Le fait même de devenir conscient de son regard, de ses gestes, ou de ses actes, peut créer en l’aspirant la sensation de “maintenant” — la sensation d’un “présent” qui est non seulement libératrice mais qui constitue également le seul moyen lui permettant de rejoindre d’autres dimensions (non spatio-temporelles) pour commencer à vivre et à se sentir hors du temps.

Si le chercheur ne parvient pas à saisir la signification profonde de ce retour à lui-même après avoir été perdu dans son absence et ses rêveries coutumières, il sera toujours happé hors de lui-même et emporté, à son insu, par le mouvement étourdissant du temps qui ne connaît pas le présent.

Etre avalé par le mouvement incessant du temps est souffrance ! Le moment éphémère que l’on croit être le présent et qui ne cesse de se transformer en passé ne permet pas à l’être humain de goûter un instant de répit, nécessaire pour l’aider à découvrir l’Immuable en lui.

Toute pratique de méditation constitue en vérité pour l’aspirant un entraînement à vivre dans un présent éternel où la mort ne peut plus l’atteindre ni toucher son Etre ; car Etre et Eternité forment, mystérieusement, une seule et inséparable Unité.

Edouard Salim Michael (les Fruits du chemin de l'Eveil)


vendredi, octobre 2

Nirvana et Samsara
















Que le Nirvana et le Samsara soient une seule et même chose, c’est là un fait touchant la nature de l’Univers ; c’est un fait dont ne peuvent se rendre compte pleinement et que ne peuvent éprouver par expérience directe que les âmes fort avancées en spiritualité. Que des gens ordinaires, convenables et non régénérés, acceptent cette vérité par ouï-dire, c’est simplement pour eux aller au devant d’un désastre…

La nature et la grâce, le Samsara et le Nirvana, la mort perpétuelle et l’éternité ne sont réellement et par expérience une même chose que pour les personnes qui ont rempli certaines conditions.
Les Evangiles sont parfaitement nets quant au processus par lequel seul un être humain peut gagner le droit de vivre dans le monde comme s’il y était chez lui : il faut qu’il fasse un renoncement total au moi, qu’il se soumette à une mortification complète et absolue…

L’histoire n’a pas gardé trace que quiconque soit jamais parvenu à la sainteté ni à l’illumination qui ne se soit, dès le début, conduit comme si l’évanescent et l’éternité, la nature et la grâce, étaient profondément différents et, par bien des côtés, incompatibles.
Le chemin de la spiritualité est une arête de couteau entre deux abîmes…

Il faut qu’il y ait conversion, soudaine ou non, non pas simplement du cœur, mais également des sens et de l’esprit qui perçoit. C’est dans les descriptions hindoues et extreme-orientales de la Philosophia Perennis que ce sujet est le plus systématiquement traité.
Ce qui est prescrit, c’est « une révulsion » plus ou moins soudaine et complète de la conscience, et la venue à la connaissance d’un état de « non-esprit » qu’on peut décrire comme la libération d’avec l’attachement perceptuel au principe du moi.

Pour y parvenir, il faut marcher délicatement et, pour s’y maintenir, il faut apprendre à unir la vigilance la plus intense à une passivité calme et négatrice du moi — la détermination la plus indomptable à une soumission parfaite aux directives de l’esprit.

« Si un œil ne s’endort jamais,
tous les rêves cesseront d’eux-mêmes ;
si l’Esprit garde son absolu,
les dix mille choses seront d’une seule substance. »
(le Troisième Patriarche du Zen)

Aldous Huxley la Philosophie éternelle